Chasseur de poussières

Les aventuriers de la science
Lundi 20 Décembre 1999 - France 3 - 22 h 00

Génial ou farfelu ? Selon Michel Maurette, la Terre fut fertilisée par une pluie d'étoiles. Du pôle au désert, le savant traîne sa balayette.

Habillez Michel Maurette d'un costume rouge et blanc et vous croirez au Père Noèl. Le scientifique a le ventre rond, la barbe hirsute et le regard espiègle. Il a longtemps sillonné les glaces du Groenland et cache dans sa hotte des milliers de cadeaux tombés du ciel : les micrométéorites, que cet astrophysicien et chercheur au CNRS collecte et étudie depuis 1984. C'est cette activité qui lui vaut une place de choix dans la prochaine émission d'Elise Lucet -Les aventuriers de la science. Parti pour la Mauritanie afin d'observer la pluie d'étoiles filantes des Léonides, ce baroudeur invétéré a accepté d'être escorté par une équipe de France 3. Charismatique et enjôleur, le scientifique aime la caméra. Elle lui permet d'expliquer au quidam l'importance de ces petits traits de lumières. Car, d'après Maurette, nous sommes tous les enfants des étoiles filantes...

Minuscules voyageurs cosmiques, plus petits que les grains de sable de nos plages, les micrométéorites sont des poussières dégagées par les comètes, quand elles fondent en s'approchant du Soleil. Il en tombe chaque année 20 000 tonnes sur nos têtes ! Selon le chercheur. cette averse ininterrompue de particules. parfois chargées de matières organiques, aurait ensemencé la Terre voici quatre milliards et demi d'années, livrant en abondance les matériaux chimiques indispensables à l'apparition de la vie.

Aujourd'hui reconnue par la communauté scientifique, la théorie de Maurette a longtemps laissé incrédules les grosses têtes de la planète. Le chercheur iconoclaste et marginal n'a pas toujours été pris au sérieux par ses confrères : " Il fonctionne au feeling et bluffe très souvent. Forcément, ça agace pas mal de monde ". commente l'un de ses proches.
" J'ai une formation de physicien. mais je suis avant tout un naturaliste, un adepte de la pluridisciplinarité, "explique l'intéressé. "Ce n'est pas toujours bien vu dans le monde très compartimenté des sciences. "

Quand il monte, en 1984, sa première expédition au Groenland pour cueillir ces paillettes célestes, beaucoup de scientifiques rigolent doucement: "On me disait que je ne trouverais rien ! D'après les modèles théoriques, 99 % des micrométéorites devaient brûler pendant leur entrée dans l'atmosphère! "

Maurette s'entête, attrape sa doudoune et sa pelle, creuse et fait fondre la glace. Il trouve. Des centaines de poussières extraterrestres dorment dans la calotte. Les modélistes retournent à leurs études, et Maurette savoure sa victoire : " J'ai créé ma chance en multipliant les opportunités, en étant curieux de tout. L'échec, c'est de ne pas essayer. Je suis un drogué de l'imprévu. Je passe mon temps à essayer de me trouver des problèmes... "

Ses contempteurs s'étranglent mais sont bien forcés de reconnaître l'importance de sa découverte. Contrairement aux grosses météorites, une bonne partie des poussières arrivent sur Terre intactes. Or, ces cailloux se sont formés à la naissance du système solaire. Ce sont les archivistes de notre passé le plus reculé.

Fort de son succès, Maurette ouvre bientôt un laboratoire de micromanipulation à Orsay. Il explore les glaces pures de l'Antarctique, enrichit sa collection.

Depuis cinq ans, usé par les longues marches polaires, il se contente de superviser les expéditions et forme ses poulains, promis à le remplacer. Un modelage sévère et long : « "Je suis très exigeant avec eux. Je leur demande dix fois plus de travail que les autres directeurs de recherche. Mais j'en ai quelques bons et je ne veux pas les rater! "

Le Père Noèl joue parfois les pères fouettards dans les labos d'Orsay. Capable de grosses crises de colère, le chercheur tyrannise gentiment son entourage. Pour son bien. Sans doute repense-t-il, dans ces moments d'exaspération, au chemin chaotique qui l'a mené jusqu'aux pôles.

Gamin, Maurette ouvre son premier champ d'expédition en Lorraine, dans les tranchées dévastées de la Première Guerre mondiale. Le petit ange a 7 ans et joue avec les obus abandonnés " C'est bon signe quand un enfant fait sauter la maison ça prouve qu'il est créatif! "

Après des études de physique à l'université d'Orsay, un service militaire douloureux en Algérie, il rencontre Robert Walker, un Américain du laboratoire de recherche fondamentale de General Electric. Encore la chance. Le Yankee prend le Lorrain sous son aile et l'invite à l'université de Saint-Louis aux Etats-Unis. Dans les années 70, Maurette devient rapidement principal investigator à la Nasa. En clair, il tripote et analyse les 380 kilogrammes de roches lunaires rapportées par les astronautes du programme Apollo. Il se lance souvent dans de furieux joggings en compagnie de Harrison Schmitt, le seul géologue envoyé sur la Lune (Apollo 17), éberlué, paraît-il, par l'opiniâtreté du jeune chercheur: " J'avais déjà du ventre à cette époque, mais il était hors de question de m'arrêter de courir Il m'attendait au tournant! "

Maurette ne s'est pas arrêté. Il a même accéléré la foulée. Convaincu qu'il n'a plus rien à apprendre des pierres de Lune, à la fin des années 70, il largue la Nasa et bifurque vers un nouveau sujet de recherche: l'étude de la biocorrosion, ou comment stocker les déchets radioactifs sans contaminer toute la planète: " Tous les dix ans, je plaque tout et je change de domaine. Ça casse ou ça passe! "

Maurette court toujours, zappe la biocorrosion et finit ainsi par s'intéresser aux étoiles filantes... Aujourd'hui, à 66 ans, le bourlingueur farfelu se tourne vers l'exobiologie, une science qui tente de trouver les origines de la vie ailleurs que sur Terre. Il rêve de découvrir des micro-organismes fossiles dans les échantillons martiens que doit ramener une mission franco-américaine (Sample return) en 2007.

Jamais rassasié, il fait les yeux doux aux médias. Pour les besoins de l'émission de France 3, il torpille ses vacances et bricole en vitesse une expédition scientifique privée en Mauritanie, rameute ses étudiants et ses amis. Dans le désert, il surjoue gaiement son rôle de professeur Tournesol, monte sur un dromadaire (il déteste ça !), feint d'y prendre plaisir, manque même une grande partie de la pluie des Léonides pour plaire à dame Télé : "J'adore bâtir des trucs pas orthodoxes du tout," avoue-t-il dans un sourire tout droit sorti d'un film de Sergio Leone. "Cette expédition est une opération médiatique je ne suis pas allé là-bas pour faire quelque chose d' extraordinairement scientifique et je suis conscient d'en faire trop, parfois. Mais je n'ai aucune honte à faire le clown. Je suis prêt à me prostituer pour une émission comme celle-ci! Ce n'est pas de la science sérieuse, c' est de la vulgarisation. Et c'est difficile de vulgariser sans être spectaculaire. Je veux bien me corrompre un peu, pourvu que le grand public sache qu'aux bouts de ces étoiles filantes il y a quand même des questions scientifiques essentielles ! "

Quand on lui demande s'il veut devenir le Hubert Reeves des étoiles filantes, Maurette rigole et balaie prudemment l'hypothèse: "Je ne suis pas assez cultivé pour cela ! Je ne suis qu'un simple artisan de la science, j'apporte ma brique à l'édifice. "

Tous les jours, pendant l'expédition, dès que la caméra s'éloignait, Maurette scrutait très sérieusement le désert de sable, dans l'espoir de trouver une météorite entre les cailloux noirs et les crottes séchées des dromadaires. Pour imaginer dégotter une pierre céleste d'un centimètre de diamètre dans cet immensité, il faut être fêlé ou croire au Père Noèl. Maurette croit en lui. Sa bonne étoile le poursuit

Nicolas Delesalle - Telerama